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L’OMC est-elle morte ?

Point de vue du 15 janvier 2018

La 11e Conférence ministérielle de l’OMC a eu lieu à Buenos Aires en décembre dernier. Elle n’a débouché sur rien. Tous les ministres de l’OMC veulent certes un système fiable pour le commerce mondial, mais chacun d’entre eux en a une autre conception. C’est ainsi que le joli bouquet d’ébauches de résolutions s’est complétement fané au fil de la conférence. Dans le dossier agricole, les membres de l’OMC n’ont pu s’entendre ni sur un accord, ni sur un programme de travail. Avant la conférence, l’éventualité d’un accord sur une nouvelle discipline relative au soutien interne ayant des effets de distorsion des échanges avait provoqué une vive agitation en Suisse. Les mesures de soutien interne englobent, en particulier, le supplément pour le lait transformé en fromage, les contributions à des cultures particulières et les contributions à la sécurité de l’approvisionnement. Des réductions de ce soutien ne s’imposent toutefois pas pour l’instant, car en dépit de l’optimisme affiché par l’OMC, il n’y a même pas eu d’accord dans ce domaine. La présidente de la conférence, Susana Malcorra, a souligné que les membres de l’OMC restaient liés au système commercial multilatéral basé sur des règles. Des doutes sont permis quant à savoir si les grands pays partagent aussi cet avis. Au lieu d’avancer en trébuchant à l’OMC, les États-Unis, l’UE, le Mercosur et d’autres pays font plutôt cavalier seul en se lançant dans des négociations bilatérales.

L’OMC est-elle morte en raison de cet échec ? Bien sûr que non, même si les négociations n’ont pas avancé d’un pouce cette fois-ci. Cela ne fait que deux ans qu’un accord conclu à Nairobi venait enterrer, contre toute attente, la loi chocolatière. L’OMC fonctionne au ralenti pendant un an ou deux. Puis, d’un seul coup, la situation peut se retourner. En outre, si les grands blocs commerciaux se rabattent à présent sur des accords bilatéraux, cela entraîne des conséquences que nous ne saurions sous-estimer. En cas d’ouverture des frontières entre ces blocs, la petite Suisse sera forcée d’agir. Au lieu de se cabrer, l’agriculture ferait mieux d’aller de l’avant pour que l’industrie d’exportation suisse ne se retrouve pas à la traîne, estime le Conseil fédéral. Pour les familles paysannes, cela crée de l’incertitude. Ce sont elles qui paient le prix de la libéralisation, pendant que les multinationales et le commerce en empochent les « gains de prospérité ».

Un nouveau rapport de divers économistes réunis autour de Thomas Piketty a confirmé, fin 2017, l’augmentation des inégalités au niveau mondial : surtout les riches deviennent de plus en plus riches. À cela s’ajoutent d’autres effets négatifs du libre-échange mondialisé – en particulier dans le domaine de l’agriculture – comme la surexploitation des ressources naturelles, les violations des droits de l’homme, la pollution environnementale, les fabriques d’animaux. C’est pourquoi les critiques se multiplient de toutes parts. Aujourd’hui, où le jeu de la concurrence n’a plus d’autre nerf que l’argent, les moins chers sont les meilleurs, peu importent les sacrifices consentis pour le pillage des ressources. Le contexte naturel, juridique, social et économique varie tellement d’un pays à un autre qu’une libéralisation unilatérale des marchés conduit à une concurrence inéquitable et destructrice. Cette logique favorise une agriculture qui n’est pas durable mais, au contraire, vulnérable en cas de crise, et elle menace ainsi à long terme la sécurité alimentaire dans le monde. Le blocage à l’OMC montre que cette prise de conscience a eu lieu. L’organisation doit se repenser si elle veut continuer de façonner les règles du commerce mondial. Le commerce a besoin d’un minimum de normes d’équité et de durabilité. L’OMC aurait donc tout intérêt à établir à temps une norme universelle de base, avant que chaque pays ne se dote de sa propre solution. Elle favoriserait et faciliterait ainsi le commerce de produits équitables et durables.

La Suisse a clairement affirmé sa volonté de s’orienter dans cette voie lors de la votation populaire sur la sécurité alimentaire. L’article constitutionnel prévoit que les relations commerciales transfrontalières doivent contribuer au développement durable de l'agriculture et du secteur agroalimentaire. L’initiative pour des aliments équitables va encore plus loin en exigeant que les aliments importés soient issus d’une production durable. Notre pays peut et doit faire figure de précurseur dans ce débat et proposer de nouvelles pistes à l’OMC. Plus il s’y prendra tôt, plus il aura des chances de réussir !

Auteur

Beat Röösli

Beat Röösli

Responsable suppléant du département Economie, formation & relations internationales
Responsable de la division Relations internationales

Belpstrasse 26, 3007 Bern
beat.roosli@sbv-usp.ch
Département Economie, formation & relations internationales
Division Relations internationales

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